J’ai toujours aimé les poissons. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai pris ce boulot à l’aquarium. Franchement, ce n’est pas très compliqué, mais il y a quand même pas mal de trucs à retenir : le cycle de filtration, les routines de nourrissage, les comportements à surveiller chez certaines espèces… Heureusement, je suis en binôme avec Mickaël pour mes premières semaines, un soigneur expérimenté. Il connaît tous les poissons par cœur. Certains ont même un petit nom. J’apprends plein de trucs avec lui.
Ce matin, comme tous les mercredis, on eu un groupe scolaire. Une dizaine d’enfants entre six et huit ans surexcités de voir des poissons, et une maîtresse déjà au bout de sa vie. Quand elle a tendu la feuille d’autorisation au directeur de l’aquarium, j’ai clairement lu dans ses yeux quelque chose comme « Bonne chance… ». Et Mickaël, qui voyait là-dedans un super entraînement, m’a laissé prendre la tête du groupe. C’était ma première visite guidée. J’étais un peu stressé, mais content de faire mes preuves. Et bon : Mickaël ne serait pas loin pour compléter mes explications et m’aider si besoin.
Les gamins n’étaient pas très attentifs : un léchait la vitre du bassin des anguilles, un autre posait les mêmes questions toutes les cinq minutes… Et puis y’avait l’autre, Nolan. Celui qui courait partout, faisait des grimaces pour amuser la galerie, ouvrait les portes « Accès interdit ». Une vraie pile électrique, du genre insupportable. Et quand il a vu qu’ils devenaient ingérables et que je galérais à les contenir, Mickaël a repris la main. Puis il les a embarqués pour une « visite VIP ».
Devant le bassin des méduses, il leur a expliqué qu’elles n’avaient ni cerveau, ni cœur ni yeux, mais qu’elles percevaient quand même la lumière. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai trouvé ça fascinant.
Au bassin des requins, il a parlé du mythe du « tueur sanguinaire » :
« Vous savez, les enfants, vous avez plus de chances de mourir à cause d’une noix de coco qui vous tombe sur la tête que tué par un requin. »
Les enfants ont ri. Moi aussi. Même si maintenant je me méfie un peu plus des cocotiers.
Devant les poissons-clowns, inutile de dire quoi que ce soit : les gamins n’arrêtaient pas de hurler « Némo !! » pendant cinq bonnes minutes. Mickaël en a profité pour glisser quelques infos à propos du corail, de la symbiose, des anémones… J’écoutais attentivement, j’étais vraiment à fond. Puis on est arrivés devant le bassin des piranhas.
Mickaël m’a fait signe que c’était moi qui allait gérer cette partie, maintenant que les gamins étaient plus calmes. Rien de compliqué : juste lancer un seau de nourriture dans l’eau et dire deux-trois trucs intéressants. C’était l’heure du nourrissage, parfait pour le show. Alors j’ai pris le seau de pilons de poulet cru, et j’ai commencé à en jeter dans le bassin. Dès la première poignée, l’eau s’est mise à bouillonner. Les poissons ont surgi d’un coup, et en quelques secondes, il ne restait plus rien. Disparus, les pilons.
J’étais content de moi, les gamins étaient scotchés. Jusqu’à ce que l’autre, le petit excité, recommence à courir autour du bassin. Il criait, tournait en rond, se penchait dangereusement. La maîtresse lui criait d’arrêter, il rigolait, faisait semblant de tomber. Je l’ai appelé une fois, deux fois… Rien à faire, il ne m’écoutait pas. Alors, au moment où il est passé trop près de moi, j’ai voulu lui faire peur. Juste un petit coup discret derrière la cheville. Rien de bien méchant, un p’tit croche-patte, quoi.
Sauf que… le gars de l’entretien venait de passer et le sol était humide… Et, bah… zwiiiiip le gosse. Une glissade, un splash… et puis plus rien.
Sacrée journée, vraiment. J’ai appris un tas de choses aujourd’hui. Sur les méduses, les requins, les poissons-clowns… Ah, et aussi : vous saviez que les piranhas pouvaient dévorer un enfant entier en moins de trente secondes ? Bah moi non plus.
Mais du coup, j’ai perdu mon job…