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Dans Abîme

Abîme – Chapitre III

par Stéphane · 27 août 2025

[Attention : Ceci est le chapitre III de l’histoire Abîme. Si vous êtes arrivé·e ici par hasard, et n’avez pas lu le ou les chapitre(s) précédent(s), alors je vous invite à cliquer sur ce lien qui vous redirigera vers l’ensemble des chapitres de l’histoire. Sinon : vous pouvez continuer votre lecture ! 😉]


Allongé sur le sol glacé de la caverne, l’esprit encore noyé dans les brumes de cet étrange cauchemar, je percevais tout autour de moi des échos indistincts. Des sons, des voix, des froissements… Et soudain, une exclamation fendit la torpeur et me ramena lentement à la conscience :

« Je crois qu’il se réveille ! »

Cette voix me parut lointaine, assourdie, comme si la personne qui venait de parler portait un masque. Puis une violente secousse me parcourut le corps, et j’ouvris brusquement les paupières, fixant le plafond du tunnel au-dessus de moi. Alexandre sursauta et poussa un cri étouffé, tandis que je reprenais lentement conscience. Ma respiration était saccadée, et mon cœur affolé, comme si j’avais couru un marathon.

« Salut les gars… murmurai-je d’une voix fatiguée.

– Ne refais jamais ça ! s’exclama Alexandre, les nerfs visiblement à vif.

– Enfin, te revoilà parmi nous ! Arnaud me tapota les joues, constatant que je reprenais des couleurs. On peut savoir ce que tu nous as fait, là ? »

Je me redressai tant bien que mal sur les coudes. Mes bras tremblaient.

« Je… ne sais pas… Un p’tit somme ? répondis-je en essayant l’humour. Il s’est passé quoi exactement ?

– Bah… T’as commencé par nous dire que tu entendais un bruit bizarre, une vibration… comme un « hmmmmm », ou quelque chose comme ça… »

Arnaud essaya de reproduire le son en faisant vibrer sa gorge, bouche close, mais cela ne m’évoqua absolument rien. Je n’avais pour ainsi dire aucun souvenir de tout ça, sinon ce mal de tête lancinant, comme si quelqu’un m’avait assommé à coups de bâton.

« Après ça, reprit-il, tu t’es mis à tituber avant de te cogner contre les murs du tunnel. Et avant qu’on ait pu réagir avec Alex, tu t’es écroulé ! On a juste eu le temps de te rattraper avant que ta tête ne percute le sol !

– L’instant d’après, enchaîna Alexandre, tu t’es mis à bouger dans tous les sens, comme si tu te débattais ou que tu essayais de courir. À un moment, t’étais limite en train de convulser !

– Convulser ? répétai-je, horrifié. »

Étant hypocondriaque de nature, entendre ce récit ne me rassurait absolument pas, et mon imagination, toujours prompte à me condamner lorsque j’avais mal à tel ou tel endroit, se mit aussitôt à dérouler le pire scénario possible. Mes mains se mirent à trembler. Arnaud, percevant mon malaise, se plaça devant Alexandre et écourta la conversation d’un ton léger :

« Bref ! T’as déliré, t’es tombé dans les vapes, et voilà ! Maintenant que tu vas mieux et que tu es de retour parmi nous, si on envisageait de remonter à la surface ? Non parce que si tu décides de clamser pour de vrai cette fois-ci, j’aimerais autant être pas loin d’un hôpital !

– Euh… C’est censé me rassurer, ça ?

– Il a raison : on remonte ! trancha Alexandre tout en m’aidant à me relever, s’assurant au passage que je pouvais bien tenir sur mes deux jambes. Tu peux marcher, Lucas ?

– Ouais… ça devrait le faire… »

Je fis quelques pas hésitants, confirmant mes dires d’un hochement de tête.

« Super ! fit Alexandre en m’adressant un sourire rassurant. Tu nous as fait une petite baisse de tension, voilà tout ! »

Après avoir checké mon état de santé, nous ramassâmes nos affaires. Alexandre m’aida à fixer ma lampe au casque, puis Arnaud déposa son sac à dos devant moi.

« Tiens, l’estropié !

– Je suis pas infirme non plus, hein… répondis-je, vexé.

– Peut-être pas, mais ton sac est le plus lourd. Tu t’en es plaint tout à l’heure, tu t’souviens ? Et comme tu es encore un peu fébrile, on va te soulager d’un poids. Donc : tu discutes pas ! »

Il me prit mon sac sans attendre ma réponse. L’affaire était réglée.

* * *

Nous reprîmes notre progression dans le silence. Arnaud ouvrait la marche, avançant prudemment dans le couloir. Derrière, Alexandre veillait sur moi, me demandant de temps en temps si tout allait bien. J’avais l’impression d’être handicapé, voire carrément impotent… Mais mon état physique n’était pas ce qui me préoccupait le plus : des flashs et des bribes d’images surgissaient à mesure que nous avancions. Et finalement, après un long moment à attendre que quelqu’un se décide à prononcer un mot, je finis par briser le silence :

« Quand j’étais… inconscient, je crois que j’ai rêvé.

– Ah oui ? demanda Alexandre, curieux d’entendre ce que j’avais à raconter. Et de quoi ?

– C’est un peu flou… mais je crois que je marchais dans un tunnel… Un peu comme aujourd’hui, en fait…

– Normal ! intervint Arnaud. Le cerveau rejoue souvent les souvenirs récents pendant les rêves. J’ai lu un truc là-dessus il y a un p’tit bout de temps…

– Dans Science & Vie Junior, non ? ricanai-je en sachant parfaitement d’où il tenait cette information.

– Oh ça va, hein ! Il était intéressant ton magazine… »

Je levai les yeux au ciel.

« Oui, je sais comment ça fonctionne, merci… Le truc, c’est que là, c’était… différent. Drôlement réel. Presque autant que… bah, la réalité.

– Finement observé, Sherlock, c’est le principe d’un rêve… conclut Arnaud avant de reporter son attention sur le boyau souterrain, visiblement vexé par ma remarque précédente.

– Et c’est tout ? Tu faisais que marcher ?

– Apparemment, ouais… Il y avait sur certains murs des algues qui brillaient. Elles étaient vertes, bleues, violettes… Je marquai une courte pause et fixai un point dans le vide tandis que je continuais de marcher, essayant de me concentrer sur ce que j’avais vu pendant cet étrange songe. Il y avait des méduses aussi, tiens ! Elles étaient énormes, presque aussi grandes qu’un homme !

– Des méduses ? Je croyais que tu te baladais dans une grotte ?

– Oui, enfin non : j’étais bien dans une grotte, ça j’en suis sûr. Mais les méduses ne nageaient pas sous l’eau : elles flottaient dans l’air et se déplaçaient comme si elles étaient sous l’eau, justement ! »

Mais alors que je continuais de raconter mon aventure onirique, Arnaud s’arrêta au milieu du couloir. Le faisceau de sa lampe balaya nerveusement le couloir.

« Il y a un souci ?

– Vous vous souvenez d’un croisement à cet endroit, vous ? »

De prime abord, sa question me sembla absurde. Comme si nous avions pu, après un seul passage, mémoriser les méandres de ce labyrinthe. Sachant que nous avons marché sans réellement nous soucier du trajet… Mais après réflexion, je me souvins qu’Arnaud était plutôt du genre « mémoire d’éléphant », même si cela concernait principalement les rancunes. Je fis quelques pas dans sa direction et me postai à côté de lui. Il y avait en effet deux choix possibles, mais impossible de dire si nous étions déjà passés par là.

« Pas de souvenir… avouai-je en haussant les épaules.

– Moi non plus… ajouta Alexandre.

– Super, merci d’votre aide ! soupira Arnaud en se frottant le front. Bon, dans ce cas : on va prendre à droite !

– T’es sûr ?

– Évidemment que non, mais faut avancer. »

Il n’avait pas tort après tout : nous n’avions pas le choix de faire un choix, justement ! Ou alors nous pouvions nous séparer et visiter les deux tunnels, mais aucun d’entre nous n’était très emballé à l’idée de faire un remake de mauvais film d’horreur…

Au moment où nous nous apprêtions à continuer, Alexandre s’arrêta.

« J’ai une idée ! s’écria-t-il avant de se pencher vers le sol. »

Nous le regardâmes fouiller par terre sans dire un mot, puis le vîmes se redresser, une pierre pointue dans la main. Il se dirigea ensuite vers la paroi du tunnel et se mit à gratter la roche de toutes ses forces avec son couteau de fortune. Et quelques secondes plus tard…

« Voiiiii… là ! lâcha-t-il d’un ton satisfait en se retournant vers nous. Avec ça, on saura si on repasse ici !

– Avec « ça » quoi ? se moqua Arnaud. »

Il se rapprocha alors du mur et aperçut les marques grossières gravées dans la roche. Il resta silencieux quelques instants, puis se tourna vers Alexandre avant de lui sourire :

« Bah dis-donc : pas bête, Cro-Magnon !

– Peuh ! T’es jaloux parce que tu n’as pas eu l’idée, c’est tout !

– Ignore-le, Alex : ton idée était bonne ! Je lui adressai un sourire et lui tapotai amicalement l’épaule. Allez, on continue. »

Alexandre lâcha sa pierre et nous reprîmes notre marche à travers le tunnel. Mais tandis que nous nous éloignions de l’embranchement, je jetai un dernier regard vers le couloir abandonné. Que ne donnai-je pas pour être certain que nous avions choisi la bonne voie…

* * *

Alors que nous continuions notre excursion dans les entrailles de la Terre, l’atmosphère devint de plus en plus lourde, saturée d’humidité. Ma respiration avait changé, et j’avais le souffle court. En repensant à mon récent évanouissement, je me mis à paniquer. Est-ce que j’allais à nouveau tomber dans les pommes ? Ma crainte déraisonnée de mourir d’une crise cardiaque revint d’un coup à la charge. Je me tournai alors vers le reste du groupe et lançai un nouveau sujet de conversation, espérant que discuter un peu me fasse penser à autre chose.

« Dites, les gars : il nous reste bien trois jours de vacances, non ?

– Oui, confirma Arnaud.

– Ça vous dit de rester au bungalow, demain ? Genre… journée piscine au camping, tranquille ?

– Bonne idée, ouais ! On l’aura bien mérité, après cette journée !

– Mouais… si on sort d’ici… grommela Alexandre sur un ton morose.

– Ah non, tu vas pas recommencer, Alex !

– Calmos, on s’détend ! répondis-je. Écoutez, ce n’est déjà pas facile, alors essayons de positiver !

– Ah mais ce n’est pas à moi qu’il faut l’dire ! Perso : j’me vois déjà en train de boire une des bières que j’ai mises au frais ce matin avant de partir ! »

Voilà un point que je ne pouvais qu’approuver : l’idée de boire une boisson fraîche me motiva, si bien que j’encourageai notre pessimiste, allant même jusqu’à le menacer, gentiment cela va de soi, de le traîner de force dans les couloirs. Ce petit intermède me fit oublier à quel point l’air était humide… mais en frôlant les parois de la grotte du bout des doigts, je sentis une goutte d’eau glisser le long du mur, ce qui contrastait singulièrement avec les pierres sèches et poreuses des tunnels précédents.

Soudain, le couloir déboucha sur une grande salle d’où partaient trois ouvertures. Un étrange sentiment de familiarité m’envahit lorsque je balayai les lieux du regard. Arnaud, quant à lui, fit quelques pas en direction du premier passage.

« Ça ne sert à rien de prendre ce tunnel, soupira-t-il, il y a des…

– … stalagmites… complétai-je sans réfléchir. »

Au moment où ce mot franchit mes lèvres, un silence tomba…

« Euh, ouais… me répondit Arnaud, perplexe. Comment tu sais ça ?

– Je… j’ai dû les apercevoir ? Enfin, je crois… »

Incertain de ma réponse, j’approchai, lampe levée : il y avait bien un mur de stalagmites et stalactites qui nous barrait la route.

« Vous allez trouver ça dingue, mais… j’ai l’impression d’être déjà venu ici…

– Un déjà-vu ? répliqua Arnaud. Ça semble logique : ces grottes se ressemblent toutes. »

Je ne répondis pas immédiatement et me tournai vers les murs de la salle qui donnait sur les trois couloirs.

« Tu fais quoi ? me demanda Arnaud qui m’observait effleurer la surface du mur en pierre.

– Je me souviens avoir rêvé d’un endroit comme ça… J’en ai parlé tout à l’heure : les motifs colorés sur les murs et… »

Je m’arrêtai de parler avant de me perdre dans mes pensées. Mes yeux examinèrent successivement les stalagmites, les pierres bleutées qui jonchaient le sol du deuxième tunnel, et le mur de la grande caverne. Ce lieu ressemblait à s’y méprendre à la scène de mes souvenirs… Alexandre, mal à l’aise, finit par mettre de côté son pessimisme et lâcha à haute voix, comme pour se rassurer :

« Bon allez, on ne va pas rester là pendant cent sept ans à regarder les murs ! Il se tourna vers Arnaud et désigna du menton les deux autres couloirs. Par où on passe ?

– Euh… Le deuxième tunnel est bloqué lui aussi, le plafond s’est écroulé…

– Alors va pour le troisième ! »

Une fois la décision prise, Alexandre m’attrapa par la poignée du sac, comme pour m’arracher à mes pensées. Arnaud se plaça devant l’entrée du dernier couloir, puis nous nous enfonçâmes dans l’obscurité. Et tandis que j’étais pratiquement traîné, je ne pouvais effacer de ma tête ce mur où j’avais vu, il y a peu dans un étrange rêve, un spectacle coloré particulièrement saisissant. Simple coïncidence ? C’est ce que je voulais croire…


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