Partager
Dans Abîme

Abîme – Chapitre II

par Stéphane · 25 août 2025

[Attention : Ceci est le chapitre II de l’histoire Abîme. Si vous êtes arrivé·e ici par hasard, et n’avez pas lu le ou les chapitre(s) précédent(s), alors je vous invite à cliquer sur ce lien qui vous redirigera vers l’ensemble des chapitres de l’histoire. Sinon : vous pouvez continuer votre lecture ! 😉]


Ce qui est étrange avec les rêves, c’est qu’on ne prend conscience de leur nature qu’une fois réveillé…

* * *

« Où suis-je ? »

À l’instant où cette question me traversa l’esprit, les taches noires qui obscurcissaient ma vue s’estompèrent. En tendant l’oreille, j’arrivais à entendre le faible écho de l’eau coulant goutte à goutte et s’écrasant contre la roche. Une brise légère me caressait la nuque, et le sifflement du vent paraissait serpenter dans un labyrinthe invisible de tunnels et de galeries. Mes sens s’éveillaient peu à peu et, après quelques secondes, une sensation étrange me parcourut le corps. Comme si… je venais de reprendre possession de moi-même.

Lorsque ma vue se fit plus claire et que mes facultés motrices et intellectuelles revinrent, je balayai les environs du regard. Mon souffle se coupa net devant l’abîme insondable qui s’étendait sur des kilomètres devant moi. J’avais beau me triturer la tête, impossible de me souvenir comment j’avais atterri là. Pourtant, face à ce panorama vertigineux, une terreur inexplicable s’emparait de moi. Était-ce à cause de cet abîme infini sous mes pieds, abîme dans lequel je m’imaginais sans mal une créature colossale prête à surgir pour me happer et m’entraîner dans les profondeurs, ou de ce bourdonnement sourd qui vibrait contre les parois calcaires derrière moi ? Difficile à dire, pourtant une petite voix intérieure me hurlait de rejoindre l’étroite passerelle suspendue quelques mètres en contrebas, au bout de ce semblant de chemin creusé à même la roche. Cette voix me suppliait de bouger, me criait de fuir avant qu’il ne soit trop tard. Pourtant, malgré cette intuition pressante, mes jambes refusaient de bouger. Je restais cloué là, partagé entre l’instinct de survie et l’émerveillement, fasciné par la majesté et le grandiose des lieux…

À mesure que mes yeux se perdaient dans le ravin, des souvenirs nébuleux affluèrent : des flashs où je me voyais déambuler et courir à travers un dédale de galeries souterraines, jetant des regards terrifiés derrière moi. Des morceaux de ma récente excursion dans les entrailles de la Terre qui me firent frémir, tant le rapprochement entre leur contenu et mon intuition alarmée me parut évident…

* * *

Une dizaine de minutes plus tôt, je crapahutais dans un étroit tunnel, taillé dans la roche sédimentaire, grelotant de tout mon long. Malgré ma lampe frontale, les couloirs demeuraient plongés dans les ténèbres. J’avançais prudemment, les bras légèrement écartés, et me repéraient grâce aux parois rugueuses que je frôlais du bout des doigts… L’air était froid et saturé d’eau, ce qui d’ailleurs contrastait étrangement avec la texture sèche et poreuse des pierres.

Au détour d’un couloir, je débouchai sur une salle dont les murs étaient recouverts d’algues bioluminescentes. Le spectacle de couleurs était hypnotisant, à tel point que je pense être resté une longue minute à contempler les motifs colorés qui tapissaient la paroi. Une fois ma fascination dissipée, je remarquai trois galeries s’ouvrant devant moi.

J’approchai du premier couloir, celui le plus à gauche, et me risquai à passer la tête dans l’ouverture… Les stalagmites et stalactites en obstruaient presque totalement l’entrée, et je calculai mes chances de me faufiler au milieu de toutes ces colonnes… mais après une courte réflexion, il fallut me rendre à l’évidence : ce tunnel était tout bonnement impraticable.

« Impossible de les casser pour me frayer un passage… soupirai-je en posant la main sur les formations calcaires, dures comme l’acier. Combien de temps a-t-il fallu pour obtenir un tel mur ? »

Certaines stalactites avaient des formes effilées, semblables à des lames ou des crocs prêts à s’abattre. L’image d’une mâchoire béante me traversa l’esprit, et je frissonnai en rebroussant chemin. Mais au moment de tourner les talons, un furtif mouvement attira mon regard. En me penchant vers l’une des stalagmites, je vis une goutte d’eau ruisseler le long de la roche calcaire. Mais elle ne glissa pas du haut vers le bas : elle partit de la base de la colonne, remonta lentement jusqu’à sa pointe, s’en détacha et, défiant toute logique, s’éleva avant de s’écraser contre le plafond.

« Qu’est-ce que… murmurai-je en clignant des yeux plusieurs fois, abasourdi. »

Une autre goutte se forma le long de la roche et suivit le même trajet que la précédente. Cette scène me fit un drôle d’effet. Comment une grotte pouvait-elle échapper ainsi aux lois de la physique ? Y avait-il une quelconque… anomalie géologique ? Un phénomène électromagnétique ? Ou… de la magie ? Les hypothèses les plus farfelues s’entrechoquaient dans mon esprit, jusqu’à ce que je finisse par me demander si, en fin de compte, ce n’était pas moi qui étais à l’envers. Secouant la tête, incapable de trouver une explication, je retournai dans la salle principale. Le deuxième couloir était quant à lui condamné par un éboulement récent. Il ne me restait donc qu’une seule option…

Soudain, alors que je me tournai vers le troisième et dernier couloir, une violente bourrasque me fouetta le dos et la nuque. Elle charriait une odeur âcre, mélange de sel et d’algues pourries, semblable à celles des plages en été, lorsque la mer rejette ses débris sous un soleil brûlant. Je mis ma main devant la bouche, retenant un haut-le-cœur. Mais alors que je me redressai, un autre phénomène me laissa aussi perplexe qu’inquiet. Un bruit. Ou plutôt une vibration, rappelant entre autres le ronronnement sourd d’un moteur. Il semblait provenir du tunnel qui débouchait sur cette caverne, celui par lequel j’étais arrivé. En quelques secondes, le bruit s’intensifia, se muant en un vrombissement profond. Il résonnait partout autour de moi, réverbéré par les parois de la grotte et faisant jusqu’à vibrer mes jambes et mes bras. Sa puissance était telle que me boucher les oreilles était inutile. Pris de panique, je m’élançai dans le boyau, fuyant cette menace invisible qui semblait fondre sur moi.

Je courus à perdre haleine, ma lampe frontale grésillant au rythme des secousses. Et finalement, après ce qui me sembla une éternité, je débouchai dans une vaste caverne et le silence reprit ses droits. Je m’effondrai presque, mon cœur tambourinant violemment contre ma poitrine. Si ce n’était pas une créature surgie tout droit des Enfers, ou un éboulement qui devait m’achever, alors ce serait une crise cardiaque. Mais une fois un peu plus calme, je pris une profonde respiration et poursuivis mon exploration, tout en jetant régulièrement un coup d’œil à l’effroyable tunnel que je venais de quitter.

La caverne dans laquelle je me trouvais était plutôt large, et haute d’une quinzaine de mètres. Je retrouvai sur les murs les mêmes algues que tout à l’heure, et qui émettaient toujours leur faible coloration. Mais cette fois-ci, pas de tunnels à choisir pour avancer : il n’y avait qu’un seul et unique passage. Je fis quelques pas dans sa direction, lorsqu’une douleur aigüe me transperça le flanc gauche. Un point de côté… Visiblement : cette course m’avait épuisé bien plus que je ne l’aurais cru. Moi qui me croyais en meilleure condition physique que ça… Profitant de cet instant de répit, mes idées s’éclaircirent. Quelque chose clochait dans tout cette histoire, et une inexplicable impression de déjà-vu me trottait dans la tête… Mais alors que mon regard se perdait dans le vide, j’aperçus au loin une faible lueur bleutée. Intrigué, je repris ma marche et longeai le couloir en direction de la source de lumière.

Tout à coup : je sursautai. Quelque chose venait de me frôler l’épaule ! Je t’entai de crier, mais aucun son ne s’échappa de ma gorge. En levant la tête, je découvris un spectacle encore plus saisissant que les algues phosphorescentes : une méduse anormalement grande, aux teintes vertes et bleues, lévitait au-dessus de moi. Comment pouvait-elle flotter ici, en dehors de l’eau ? Mes jambes se mirent en mouvement malgré moi, comme guidées, et je suis suivis la créature. Quelques pas plus loin, je me retrouvai dans une nouvelle portion de cette large caverne. Devant moi : cinq méduses colorées évoluaient dans l’espace, éclairées par le faible rayonnement des algues et ondulant lentement dans un ballet des plus envoûtants. Absorbé, je restai là, ne faisant rien d’autre que fixer les tentacules de ces formes gélatineuses qui nageaient dans le vide. L’une d’elles s’éleva vers le plafond. La roche, baignée de sa lumière, se mit à onduler, comme la surface d’un étang. Était-ce… de l’eau ? Mon esprit s’emballa. Étions-nous immergés ? Cela expliquerait pourquoi les méduses pouvaient se déplacer tout autour de moi. Mais comment pouvait-il y avoir une nappe d’eau au plafond ? Et surtout, si j’étais bel et bien sous l’eau : par quel miracle étais-je toujours capable de respirer ?! Tout ceci n’avait définitivement aucun sens !

Mais je fus brutalement tiré de mes pensées, et la magie de l’instant se brisa net. Les algues phosphorescentes cessèrent d’émettre leur douce lumière, et les méduses perdirent leur teinte bleutée avant de s’évanouir dans les ténèbres. Un nouveau son résonna contre les parois du tunnel. Pas le vrombissement de tout à l’heure, mais plutôt une respiration. Rauque, lente. Mon cœur accéléra, mes instincts en alerte. Mon intuition me hurlait de ne pas me retourner, mais c’était plus fort que moi. Je tournai alors la tête, et mon regard croisa l’ouverture du couloir que j’avais quitté quelques instants plus tôt. Et je vis.

À l’entrée du couloir, deux grands yeux blancs m’observaient avec une insistance glaçante…


Vous voulez lire la suite de cette histoire ? Alors suivez ce lien ! 😉

Parcourir

Vous aimerez peut-être aussi