Allongé sur le sol froid de la caverne, l’esprit encore embrumé après cette espèce de rêve, je captais tout autour de moi des sons et des bruits. Une voix s’éleva, m’extirpant petit à petit des bras de Morphée. « Je crois qu’il se réveille ! » entendis-je. Cette voix me parut étouffée, comme si la personne qui venait de parler portait un masque ou se trouvait loin de moi. Soudain une violente secousse me parcourut le corps, et j’ouvris brutalement les paupières avant de fixer le plafond du tunnel. Alexandre sursauta alors d’un coup et poussa un cri étouffé. Arnaud gloussa, tandis que je reprenais lentement conscience. Ma respiration était saccadée, et mon rythme cardiaque anormalement rapide… Comme si je venais de courir un marathon…
« Salut les gars… murmurai-je d’une voix fatiguée.
– Ne refais jamais ça ! s’exclama Alexandre en reprenant son souffle.
– Enfin, te revoilà parmi nous ! Arnaud me donnait de petites tapes sur les joues, voyant que je reprenais des couleurs. On peut savoir ce que tu nous as fait, là ?
– Je… ne sais pas… Un p’tit somme ? Je marquai une courte pause, me redressant difficilement sur mes coudes. Mes bras tremblaient. Il s’est passé quoi exactement ?
– Eh bien tu as commencé par nous dire que tu entendais un bruit chelou, une vibration ou quelque chose comme ça. Une sorte de ‘‘hmmmmm’’… »
Arnaud essaya de reproduire le son en faisant vibrer ses cordes vocales, la bouche fermée, mais cela ne m’évoqua absolument rien. Je n’avais pour ainsi dire aucun souvenir de tout ça, mis à part un étrange mal de tête, comme si quelqu’un m’avait assommé avec un bout de bois.
– Après ça, poursuivit-il, tu t’es mis à tituber avant de te cogner contre les murs du tunnel. Mais avant qu’on puisse réagir avec Alex, tu t’es écroulé ! On a juste eu le temps de te rattraper avant que ta tête ne touche le sol !
– L’instant d’après, enchaîna Alexandre, tu t’es mis à bouger les jambes et les bras, comme si tu te débattais ou que tu essayais de courir. Et à un moment tu étais limite en train de convulser !
– De convulser, carrément ? répondis-je en ouvrant de grands yeux.
– Ouais ! On s’est dit : ‘‘Ça y est, il fait une attaque !’’ ! »
J’étais horrifié. Étant hypochondriaque par nature, entendre cette histoire ne me rassurait absolument pas, et je ne pouvais m’empêcher d’imaginer le pire des scénarios. Mais voyant que je tremblais de tout mon long, et jugeant inutile d’en rajouter une couche, Arnaud se plaça devant Alexandre, reprit la parole et écourta la conversation :
« Bref ! T’as déliré, t’es tombé dans les vapes, et voilà ! Maintenant que tu vas mieux et que tu es de retour parmi nous, si on envisageait de remonter à la surface ? Non, parce que bon : si tu décides de clamser pour de vrai cette fois-ci, j’aimerais autant être pas loin d’un hôpital !
– Euh… C’est censé me rassurer, ça ?
– Il a raison : on r’monte ! ajouta Alexandre tout en m’aidant à me relever, s’assurant au passage que je pouvais bien tenir sur mes deux jambes. Tu crois que tu pourras marcher ?
– Je crois… Je fis alors quelques pas dans le tunnel pour confirmer, puis hochai la tête.
– Super ! conclut-il en m’adressant un sourire rassuré. Tu nous as fait une petite baisse de tension, voilà tout ! »
Après avoir checké mon état de santé, nous ramassâmes nos affaires. J’attachai sur mon front la lampe qui m’avait été fournie lors de notre inscription pour cette visite spéléologique, puis me tins prêt à reprendre la route. Arnaud s’approcha de moi et me tendit son sac.
« Tiens, l’estropié !
– Je ne suis pas infirme non plus, hein… répondis-je, vexé.
– Peut-être, mais comme tu l’as fait remarquer tout à l’heure : ton sac est le plus lourd. Et comme tu es encore un peu fébrile, on va te soulager d’un poids. Donc : tu discutes pas ! insista-t-il en posant le sac à mes pieds et en me débarrassant du mien. »
Une fois l’échange fait, nous nous remîmes en route à travers les tunnels…
* * *
Plusieurs minutes s’étaient écoulées, et un silence pesant accompagnait désormais nos pas… Personne n’avait ouvert la bouche depuis notre départ. Tandis qu’Alexandre surveillait comment je marchais, Arnaud observait avec attention le couloir. De temps en temps, mon ‘‘ange gardien’’ me demandait si tout allait bien. J’avais l’impression d’être handicapé, voire impotent… Mais mon état physique n’était pas ce qui me préoccupait le plus. Mon esprit était focalisé sur les bribes d’images et les flashs qui me revenaient en mémoire au fur et à mesure que nous avancions dans l’obscurité. Et finalement, après un long moment à attendre que quelqu’un se décide à prononcer un mot, je finis par briser le silence.
« Quand j’étais… inconscient, je crois que j’ai rêvé.
– Ah ? Et de quoi ? me questionna Alexandre, curieux d’entendre ce que j’avais à raconter.
– C’est un peu flou, mais je crois que je marchais dans un tunnel… Un peu comme aujourd’hui, en fait…
– C’est pas étonnant, ça ! m’interrompit notre guide. Quand on dort, le cerveau rejouerait les souvenirs de la journée, et parfois ils ressortent pendant les rêves… J’ai lu un truc là-dessus il y a un p’tit bout de temps…
– Dans Science & Vie Junior, non ? ricanai-je en sachant parfaitement d’où il tenait cette information.
– Oh ça va, hein ! Il était intéressant ton magazine, c’est tout…
– Oui, je sais comment ça fonctionne, merci, mais là c’était drôlement réel. Presque aussi réel que… bah, la réalité, quoi.
– Finement observé, Sherlock : c’est le principe d’un rêve… conclut Arnaud avant de reporter son attention sur le boyau souterrain, visiblement vexé par ma remarque précédente.
– Et c’est tout ? Tu ne faisais que marcher ?
– Apparemment, ouais… Il y avait sur certains murs des algues qui brillaient. Elles étaient vertes, bleues, violettes… Je marquai une courte pause et fixai un point dans le vide tandis que je continuais de marcher, essayant de me concentrer sur ce que j’avais vu pendant cet étrange songe. Il y avait des méduses aussi, tiens ! Elles étaient énormes, presque aussi grandes qu’un homme !
– Des méduses ? Je croyais que tu te baladais dans une grotte ?
– Oui, enfin non : j’étais bien dans une grotte, ça j’en suis sûr. Par contre, les méduses ne nageaient pas sous l’eau : elles flottaient dans l’air et se déplaçaient comme si elles étaient sous l’eau, justement ! »
Mais alors que je continuais de raconter mon aventure onirique, Arnaud s’arrêta au milieu du couloir. Le faisceau lumineux de sa lampe frontale bougea rapidement de gauche à droite, mais je n’étais pas assez proche pour comprendre les raisons de cette pause.
« Il y a un souci ?
– Vous vous souvenez d’un croisement à cet endroit, vous ? »
De prime abord, cette question me parut stupide. Comment aurions-nous pu mentalement cartographier ces tunnels après un seul passage ? D’autant que, durant notre excursion, nous avions marché sans réellement nous soucier des chemins empruntés… Mais après réflexion, je me souvins qu’Arnaud était plutôt du genre ‘‘mémoire d’éléphant’’, même si cela concernait principalement les rancunes. Je fis quelques pas dans sa direction et me postai à côté de lui avant de balayer à mon tour le souterrain du regard. Il y avait en effet deux choix possibles, mais impossible de dire lequel nous avions pris tout à l’heure ou si, comme Arnaud le demandait, nous étions déjà passés par là… Je haussai les épaules avant de lui répondre :
« Je ne m’en souviens pas, personnellement…
– Et toi Alexandre ? lança Arnaud à notre ami qui, entretemps, s’était rapproché de nous.
– La même…
– Super, merci d’votre aide ! soupira-t-il en se frottant le front, dépité par notre situation. Bon, dans ce cas : on va prendre à droite !
– T’es sûr de toi ?
– Bien sûr que non, mais il faut qu’on s’décide ! »
Il n’avait pas tort après tout : nous n’avions pas le choix de faire un choix, justement ! Ou alors nous pouvions nous séparer et visiter les deux tunnels, mais aucun d’entre nous n’était très emballé à l’idée de faire un remake de mauvais film d’horreur… Mais au moment où nous nous apprêtions à continuer, Alexandre s’arrêta. « J’ai une idée ! » s’écria-t-il avant de se pencher vers le sol. Nous le regardâmes fouiller par terre sans dire un mot, puis le vîmes se redresser, une pierre légèrement pointue dans la main. Il se dirigea ensuite vers la paroi du tunnel et se mit à gratter la roche de toutes ses forces avec son couteau de fortune. Et finalement, après quelques secondes…
« Voiiiii-là ! lâcha-t-il d’un ton satisfait en se retournant vers nous. Avec ça, on devrait pouvoir s’orienter un minimum !
– Avec ‘‘ça’’ quoi ? se moqua Arnaud qui visiblement n’avait pas compris ou vu ce que venait de faire notre ami. »
Il se rapprocha alors du mur et aperçut les traces blanchies dans la pierre. Il resta silencieux quelques instants, puis se tourna vers Alexandre et lui adressa un regard approbateur :
« Bah dis-donc : pas bête, l’Homme de Cro-Magnon !
– Peuh ! T’es jaloux parce que tu n’as pas eu l’idée, c’est tout !
– Ne l’écoute pas, Alex : ton idée était bonne ! le rassurai-je en lui donnant une tape amicale dans le dos. Allez, on repart ! »
Alexandre lâcha sa pierre et nous reprîmes notre marche à travers le tunnel. Et tandis que nous nous éloignions de l’embranchement, je jetai un dernier regard au couloir qui disparaissait dans les ténèbres. Pourvu que nous ne nous soyons pas trompés…
* * *
Alors que nous continuions notre excursion dans les entrailles de la Terre, l’atmosphère qui nous entourait était devenue particulièrement lourde et humide. Ma respiration avait changé, et j’avais le souffle court. Les souvenirs de ma récente perte de conscience me revinrent brutalement en mémoire, accentuant l’angoisse que j’éprouvais alors que je focalisais mon attention sur mes inspirations et expirations. Est-ce que j’allais à nouveau tomber dans les pommes ? Ma crainte irraisonnée de mourir d’une crise cardiaque revint d’un coup à la charge, ce qui bien évidemment n’arrangea absolument rien ! Je me tournai alors vers le reste du groupe et lançai un nouveau sujet de conversation, espérant que discuter un peu me fasse penser à autre chose.
« Dites, les gars : il nous reste bien trois jours de vacances, non ? Arnaud me répondit par l’affirmative, et je poursuivis. Ça vous dit de rester au bungalow, demain ? Genre on se fait une journée tranquille à la piscine du camping ?
– Bonne idée, oui ! Après cette journée, je pense que ça nous fera du bien !
– Mouais… Avant ça, il faudrait déjà qu’on arrive à sortir d’ici… répondit Alexandre sur un ton morose.
– Ah non, tu vas pas recommencer, Alex !
– Calmos, on s’détend ! répondis-je. Écoutez, ce n’est déjà pas facile, alors essayons de positiver !
– Ah mais ce n’est pas à moi qu’il faut l’dire ! Perso : j’me vois déjà en train de boire une des bières que j’ai mises au frais ce matin avant de partir ! »
Voilà un point que je ne pouvais qu’approuver : l’idée de boire une boisson fraîche me motiva, si bien que je décidai d’encourager notre pessimiste, allant même jusqu’à le menacer – gentiment, bien évidemment ! – de le traîner de force dans les couloirs. Ce petit intermède me fit oublier à quel point l’air s’était chargé d’humidité… mais en frôlant les parois de la grotte du bout des doigts, je sentis une goutte d’eau glisser le long du mur, ce qui contrastait de manière singulière avec les pierres sèches et poreuses des tunnels précédents.
Soudain, alors que nous avancions en ligne droite, nous atteignîmes une grande salle qui se séparait en trois tunnels. Un étrange sentiment de familiarité m’envahit alors lorsque je balayai du regard les lieux. Arnaud, quant à lui, fit quelques pas en direction du premier boyau.
« Ça ne sert à rien de prendre ce tunnel, soupira-t-il, il y a des…
– … stalagmites… »
Au moment où ce mot traversa mes lèvres, un silence s’abattit brutalement sur notre groupe. Aussitôt, Arnaud tourna la tête dans ma direction, et la lumière de sa lampe frontale m’arriva droit dans les yeux.
« Euh, ouais… me répondit-t-il d’un ton perplexe. Comment tu sais ? »
Je détournai le regard, ébloui par la lumière, et clignai des yeux à plusieurs reprises afin de me rhabituer à l’obscurité.
« Tu as dû les voir, non ? m’interrogea Alexandre, cherchant une explication rationnelle et surtout rassurante.
– Je… Oui… Enfin, je crois… »
Incertain de ma réponse, je n’ajoutai rien de plus et me dirigeai aussitôt vers le tunnel. J’orientai la lumière de ma propre lampe dans l’ouverture et constatai à mon tour le mur de stalagmites et stalactites qui nous barraient la route.
« Vous allez trouver ça dingue, mais… lâchai-je d’une voix peu assurée… j’ai l’impression d’être déjà venu ici…
– Un déjà-vu ? Ça peut arriver, surtout que bon : toutes les grottes se ressemblent, non ? compléta Alexandre. »
Je ne répondis pas immédiatement et me tournai vers les murs de la salle qui donnait sur les trois couloirs. Mes yeux fixèrent avec une attention singulière les aspérités de la paroi calcaire…
« Tu fais quoi ? me demanda Arnaud qui m’observait effleurer la surface du mur en pierre.
– Je me souviens avoir rêvé d’un endroit comme ça… J’en ai parlé tout à l’heure : les méduses, les motifs colorés sur les murs et… »
Je m’arrêtai de parler avant de me perdre dans mes pensées. Mes yeux balayèrent successivement les stalagmites, les pierres bleutées qui jonchaient le sol, et le mur de la grande caverne. Où étaient passées les algues luisantes que j’avais observées dans mon rêve ? Et d’ailleurs : comment ou pourquoi une scène sortie tout droit de mon imagination pouvait-elle être… aussi fidèle à ce que je voyais en ce moment ?
Alexandre, qui s’inquiétait de la tournure que prenaient les événements, finit par mettre de côté son pessimisme et lâcha à haute voix, comme pour se rassurer :
« Bon allez, on ne va pas rester là pendant cent sept ans à regarder les murs ! Il se tourna vers Arnaud et désigna d’un hochement de tête les deux autres couloirs. Par où on passe ?
– Euh… Le deuxième tunnel est impraticable lui aussi, le plafond s’est écroulé…
– Alors va pour le troisième, dans ce cas ! »
Une fois la décision prise, Alexandre s’approcha de moi puis attrapa la poignée de mon sac à dos, me forçant à redescendre sur terre. Arnaud se plaça devant l’entrée du dernier couloir, puis nous nous engouffrâmes à l’intérieur. Et tandis que j’étais pratiquement traîné dans l’obscurité, mes pensées demeuraient dirigées vers le mur où j’avais vu, il y a peu dans un étrange rêve, un spectacle coloré particulièrement saisissant. Ce devait être ni plus ni moins qu’une coïncidence… du moins, c’est ce que j’espérais…
Voici donc pour la troisième partie d’Abîme. Retour à la réalité pour notre protagoniste… mais que dire de ces étranges coïncidences ? 🤔
J’espère en tout cas que ce chapitre vous a plu !
Comme à chaque fois, n’hésitez pas à me laisser un petit message si vous le souhaitez ! Petit rappel : pas de message volontairement négatif et agressif. Merci par avance !
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Quoi que vous fassiez, merci beaucoup pour votre lecture ! 🙏
Sur ce je vous dis à bientôt pour la suite de cette histoire ou de nouvelles aventures ! 😉