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Abîme - p.2

« Quel est cet endroit ? On dirait une sorte de... rêve ? »

« Quel est cet endroit ? On dirait une sorte de... rêve ? »

Ce qui est étrange avec les rêves, c’est qu’il est impossible de se rendre compte de leur nature tant que l’on ne s’est pas réveillé…

* * *

« Où suis-je ? »

À l’instant où cette question me traversa l’esprit, les taches noires qui obscurcissaient ma vue s’estompèrent. En tendant l’oreille, j’arrivais à entendre le faible écho de l’eau coulant goutte à goutte et s’écrasant contre le sol rocheux. Une légère brise me caressait la nuque, et le vent sifflant semblait serpenter à travers je ne savais quel labyrinthe de couloirs et de tunnels. Mes sens s’éveillaient petit à petit et, après quelques secondes, une singulière sensation me parcourut le corps. Comme si… je venais de reprendre le contrôle.

Tandis que ma vision s’éclaircissait et que je recouvrais pleinement mes facultés motrices et intellectuelles, je balayais les environs du regard avant de me figer sur le gouffre insondable qui s’étendait sur des kilomètres devant moi. J’avais beau me triturer la tête, impossible de me souvenir comment j’avais atterri ici. Pourtant ce panorama qui dépassait l’entendement faisait naître en moi un inexplicable sentiment de terreur. Était-ce à cause de l’abîme infini sous mes pieds, qui sans doute dissimulait une entité maligne prête à se hisser au sommet pour me happer et m’emporter avec elle dans les profondeurs, ou bien de l’affreux bourdonnement qui résonnait contre les parois calcaires derrière moi ? Difficile à dire, pourtant une petite voix m’ordonnait de rejoindre l’étroite et vertigineuse passerelle suspendue au-dessus du gouffre quelques mètres en contrebas, au bout de ce semblant de chemin creusé à même la roche. Cette petite voix me suppliait de bouger, me criait de prendre mes jambes à mon cou comme si elle savait que quelque chose de catastrophique était sur le point de se produire. Mais la tétanie m’empêchait de bouger, et à défaut de fuir comme me le dictait mon intuition, je restais planté là, subjugué par la majesté et le grandiose des lieux…

À mesure que je contemplais le ravin, des souvenirs nébuleux me revenaient en mémoire. Des flashs dans lesquels je déambulais et courais de manière effrénée à travers un dédale de galeries souterraines, jetant de temps à autres des regards apeurés par-dessus mon épaule. Des morceaux de ma récente excursion dans les entrailles de la Terre qui me firent frémir, tant le rapprochement entre leur contenu et mon intuition alarmée me parut évident…

* * *

Une dizaine de minutes plus tôt, je crapahutais dans un étroit tunnel de roches sédimentaires, grelotant de tout mon long. Malgré ma lampe frontale, les couloirs demeuraient plongés dans les ténèbres, ce qui ne facilitait en rien mon exploration. J’avançais prudemment les bras légèrement écartés, et me repéraient grâce aux parois rêches et granuleuses que je frôlais du bout des doigts… L’air était froid et singulièrement humide, ce qui d’ailleurs contrastait étonnamment avec la texture sèche et poreuse des pierres.

Au bout de quelques mètres, je débouchai sur une salle dont les murs étaient recouverts d’une sorte d’algue bioluminescente. Le spectacle de couleurs devant moi était hypnotisant, à tel point que je pense être resté une longue minute à contempler les motifs colorés qui tapissaient la paroi. Une fois ma fascination dissipée, je constatai que la caverne se séparait en trois galeries. De toute évidence, je me trouvais dans un labyrinthe, ce qui accrut mon inquiétude. Mais je ne devais en aucun cas céder à la panique : il fallait que je retrouve mon chemin et que je sorte d’ici. J’approchai donc du premier couloir sur ma gauche puis, une fois arrivé à hauteur de l’ouverture, j’orientai le faisceau lumineux de ma lampe frontale en direction de l’obscurité. Les stalagmites et stalactites occupaient la quasi-totalité du passage, et j’évaluai mentalement mes chances de réussir à me faufiler au milieu de toutes ces colonnes… mais après une courte réflexion, je dus me rendre à l’évidence : ce tunnel était tout bonnement impraticable.

« Impossible de les casser pour me frayer un passage… soupirai-je en posant ma main sur les formations calcaires, attestant de leur solidité. Je me demande combien de temps il faut pour obtenir un tel mur… »

Les stalactites avaient par endroits une forme singulière, et étaient semblables à des lames ou à des dents de requin, ce qui accentuait l’aspect menaçant du tunnel. Le plafond allait-il brutalement s’effondrer sur moi, comme un prédateur s’abattant sur sa proie ? Cette pensée me fit frissonner, si bien que je décidai de rebrousser chemin. Mais au moment de tourner les talons, un furtif mouvement attira mon attention, et qui venait d’une des stalagmites non loin de moi. En me penchant plus précisément sur celle-ci, je vis une goutte d’eau ruisseler le long de la roche calcaire. Mais elle ne glissa pas du haut vers le bas : elle partit de la base de la colonne, atteignit la pointe du pic, s’en détacha très lentement avant de s’envoler et de s’écraser contre le plafond.

« Qu’est-ce que… murmurai-je en clignant des yeux plusieurs fois, incertain de ce que je venais de voir. »

Je me rapprochai alors et focalisai toute mon attention sur la stalagmite. Une nouvelle goutte se forma le long de la roche, suivit le même trajet que la précédente et s’aplatit sur la voûte du tunnel. Revoir cette scène irrationnelle me fit un drôle d’effet. Comment cette grotte pouvait-elle échapper aux lois de la physique ? Y avait-il une quelconque… anomalie ? Un phénomène électromagnétique ? De la magie ? Des idées plus farfelues les unes que les autres fusaient dans mon esprit, jusqu’à ce que je finisse par me demander si, en fin de compte, ce n’était pas moi qui étais à l’envers. Mais je les chassai bien vite en secouant nerveusement la tête, avant de retourner dans la salle principale et de faire comme si de rien n’était. Je fis quelques pas en direction du deuxième couloir, mais à en juger les nombreuses pierres grises et bleutées qui jonchaient le sol, un éboulement avait eu raison de cet accès. Il ne me restait donc plus qu’une seule option…

Soudain, alors que je me tournai vers le troisième et dernier couloir, une violente bourrasque me fouetta le dos et la nuque. L’odeur qu’elle diffusa me rappela celle de la mer et des algues vertes qui se décomposent sur la plage par grand soleil. Je mis ma main devant la bouche, retenant un haut-le-cœur. Mais alors que je me redressai, un autre événement inattendu me laissa aussi perplexe qu’inquiet. Un bruit. Ou plutôt une vibration, rappelant entre autres le bruit d’un moteur de camion. Un son qui suscita d’ailleurs en moi un étrange sentiment de familiarité. Il semblait provenir du tunnel qui débouchait sur cette caverne, celui par lequel j’étais arrivé. En quelques secondes, la vibration s’intensifia, passant d’un simple ronronnement à un vrombissement lourd et grave. Il résonnait partout autour de moi, réverbéré par les parois de la grotte et faisant jusqu’à vibrer mes jambes et mes bras. Sa puissance était telle que me boucher les oreilles était parfaitement inutile. Pris de panique, je m’élançai dans le troisième et dernier couloir, souhaitant échapper à je ne savais quelle menace qui de toute évidence se rapprochait de moi ! Quelques mètres plus loin, j’atteignis un embranchement et deux issues s’offraient à moi. Laquelle étais-je supposé prendre ? Je n’avais pas le temps de réfléchir : à gauche !

Alors que je fonçais à travers le tunnel, ma lampe frontale grésillait au rythme de ce tremblement, accentuant l’incompréhension et la panique qui me tenaillaient. Et finalement, après une longue minute à courir au hasard dans la pénombre, je déboulai dans une caverne et le silence reprit ses droits. Mon cœur tambourinait violemment dans ma poitrine, à tel point que j’eus l’impression qu’il allait tout simplement s’éjecter de ma cage thoracique. Gagné par la nervosité, je ne pus m’empêcher d’ironiser sur ma situation : si je ne me faisais pas dépecer par une quelconque créature surgie tout droit des Enfers, ou par un bête éboulement, la crise cardiaque aurait raison de moi ! Mais une fois un peu plus calme, je pris une profonde respiration et poursuivis mon exploration, tout en jetant de temps à autre un coup d’œil à l’effroyable tunnel que je venais de quitter.

La caverne dans laquelle je me trouvais était plutôt large, et haute d’une quinzaine de mètres. Je retrouvai sur les murs les algues qui émettaient toujours leur faible coloration. Mais cette fois-ci, pas de tunnels à choisir pour avancer : il n’y avait qu’un seul et unique passage. Je fis quelques pas dans sa direction mais une vive douleur me lança au niveau du flanc gauche. Un point de côté… Visiblement : bien qu’elle fût brève, cette course m’avait fatigué. Bizarre, je me croyais en meilleure condition physique que ça… Profitant de cet instant de répit, mes idées s’éclaircirent. Mon esprit critique s’éveilla enfin et plusieurs questions s’imposèrent à lui. Quelque chose clochait dans tout cette histoire, et une inexplicable impression de déjà-vu me trottait dans la tête… Mais alors que mon regard se perdait dans le vide, j’aperçus au loin une faible lueur bleutée. Curieux mais néanmoins sur mes gardes, je me redressai et longeai le couloir en direction de la source de lumière. Soudain je sursautai : quelque chose venait de me frôler l’épaule ! J’essayai de pousser un cri de panique, mais aucun son ne s’échappa de ma gorge. Je levai alors la tête et découvris un spectacle encore plus saisissant que les algues phosphorescentes. Une méduse anormalement grande et aux teintes vertes et bleues lévitait dans la grotte à quelques centimètres au-dessus de moi. Comment pouvait-elle flotter ici, en dehors de l’eau ? Sans m’en rendre compte, mes jambes se mirent en marche et, à la manière d’un automate, je me mis à suivre la créature. Quelques pas plus loin, je me retrouvai dans une nouvelle portion de cette large caverne. Devant moi : cinq méduses colorées évoluaient dans l’espace, éclairées par le faible rayonnement des algues et ondulant lentement dans un ballet des plus envoûtants. Captivé par cette scène surréaliste, je restais là, ne faisant rien d’autre que fixer les tentacules de ces formes gélatineuses qui nageaient dans le vide. J’essayais de parler, d’exprimer ma stupéfaction, mais les mots me manquaient. En suivant la méduse la plus proche du regard, je la vis s’élever jusqu’à atteindre le plafond de la caverne. Et de là où je me trouvais, la roche donnait l’impression d’onduler, comme le ferait de l’eau à la surface d’une mare. Étais-je… sous l’eau ? Cela expliquerait pourquoi les méduses pouvaient se déplacer tout autour de moi. Mais comment pouvait-il y avoir une nappe d’eau au plafond ? Et surtout, si j’étais bel et bien sous l’eau : par quel miracle étais-je toujours capable de respirer ?! Tout ceci n’avait définitivement plus aucun sens, et chaque question que je pensais résoudre en amenait deux autres !

Mais je fus brutalement tiré de mes pensées, et la magie de l’instant s’évanouit. Les algues phosphorescentes cessèrent d’émettre leur douce lumière, et les méduses perdirent elles aussi leur teinte bleutée avant de disparaître dans les ténèbres. Un son résonnait contre les parois du tunnel. Pas les vibrations de tout à l’heure, mais plutôt une respiration rauque et lente. Mon cœur accéléra. Malgré la peur, je décidai de tourner la tête, et mon regard croisa l’ouverture du couloir que j’avais quitté quelques instants plus tôt. Et c’est à cet instant précis que j’abandonnai la prudence qui m’accompagnait depuis tout à l’heure et que je me préparai à courir en direction du prochain tunnel. Car là-bas, dans l’obscurité, deux grands yeux blancs me fixaient avec une insistance glaçante…

Vous voici arrivé·e à la fin du deuxième chapitre d’Abîme. Comme vous l’aurez constaté, nous flirtons entre le rêve et la réalité ! J’espère qu’il vous a plu ! 🦇

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Sur ce je vous dis à bientôt pour la suite de cette histoire ou de nouvelles aventures ! 😉


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