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Dans Abîme

Abîme – Chapitre IV

par Stéphane · 29 août 2025

[Attention : Ceci est le chapitre IV de l’histoire Abîme. Si vous êtes arrivé·e ici par hasard, et n’avez pas lu le ou les chapitre(s) précédent(s), alors je vous invite à cliquer sur ce lien qui vous redirigera vers l’ensemble des chapitres de l’histoire. Sinon : vous pouvez continuer votre lecture ! 😉]


Alors que nous crapahutions dans les galeries souterraines à la recherche d’une sortie, j’entendais Arnaud soupirer de plus en plus fort. Cela faisait des années que nous étions amis, et je le connaissais assez pour savoir qu’à en juger le nombre de soupirs qu’il venait d’enchaîner, il était à deux doigts d’exploser. Notre situation commençait sérieusement nous démoraliser, et chacun d’entre nous se demandait, non pas quand, mais si nous finirions un jour par retrouver l’air frais du dehors. Et au bout d’un moment…

« J’en ai maaaaaarre !! »

Arnaud grogna, soupira, donna un coup de pied dans une grosse pierre, puis finit par s’écrouler sur le sol poussiéreux. Il arracha son casque d’un geste brusque et le projeta violemment contre le mur de la galerie, où il rebondit avec un claquement sec.

« Putain, Arnaud ! Pense à la caution ! s’exclama Alexandre.

– J’m’en tamponne de la caution, Alex ! Y a plus sérieux à gérer, comme sortir d’ici…

Ce n’est pas toi qui parlais de pessimisme et de mauvais esprit, tout à l’heure ? ironisai-je.

Oh, lâche-moi, tu veux !

Allez les gars ! lança Alexandre avec un enthousiasme forcé qui sonnait presque faux, mais qui avait le mérite de nous secouer un peu. On ne va pas s’arrêter là, tout d’même ?

Si tu veux aller t’promener, vas-y : fais-toi plaiz’ ! Moi, j’en ai plein les pattes, j’ai besoin de faire pause !

Tu ne voulais pas boire une bière il y a vingt minutes ? Plus vite on sort d’ici, plus vite on sera au camping !

Qu’est-ce que tu comprends pas dans « j’ai besoin de faire une pause » ? Là, j’ai soif, hein, mais pas de bière ! Bon sang ! »

Voyant qu’il n’arriverait ni à le raisonner, ni à le calmer, Alexandre souffla profondément, vaincu, et s’adossa à la paroi ruisselante de la grotte. L’anxiété qu’il contenait jusque-là revint au galop, et pour se distraire, il sortit son téléphone de sa poche… avant de soupirer une fois de plus en découvrant la maudite petite croix rouge à côté du symbole de réseau. Bien évidemment, il soupira une seconde fois lorsqu’il vit la petite croix rouge à côté du symbole du réseau. Quant à moi, je me replongeai dans mes pensées et fixai le sol du souterrain, le regard vide. Ce tunnel… il me semblait, comme beaucoup de choses jusqu’à présent, étrangement familier, et mon intuition me murmurait d’être prudent. Était-ce la fatigue qui me jouait des tours ? Ou bien étais-je vraiment en train de devenir fou ? Cette question m’avait traversé l’esprit à plusieurs reprises depuis mon réveil, mais je n’étais pas certain de vouloir en connaître la réponse.

Tout avait commencé avec ce bruit singulier. Malgré mes efforts, je n’arrivais pas à l’expliquer. Et j’avais beau vouloir partager mes doutes avec mes amis, leur demander leur avis sur tout ça, je savais qu’ils ne me prendraient pas au sérieux. Pour eux, l’explication était vite trouvée : une hallucination, un malaise et un rêve. Rien de plus. Pourtant, plus nous nous enfoncions dans les entrailles de la Terre, plus les flashs revenaient. Sans parler de cette inquiétude omniprésente. Est-ce qu’Arnaud et Alexandre avaient raison de mettre mes « souvenirs » et ressentis sur le compte de la coïncidence ? Est-ce qu’il était normal, convenu même, de rêver de grottes et de monstres cachés dans l’ombre au beau milieu d’une visite spéléologique ? Et tandis que je réfléchissais à tout ça, de nouveaux souvenirs me revinrent : les méduses, encore, évoluant gracieusement dans les airs comme si elles étaient en train de nager sous l’eau ; les algues phosphorescentes et leurs différentes colorations ; le mur de stalagmites et de stalactites qui me barrait le passage…

Soudain, un élément bien précis s’imposa à mon esprit. Un souvenir qui me glaça le sang : les yeux. Les deux yeux blancs que j’avais entraperçus et qui me fixaient depuis les ténèbres. Sans parler de cette respiration rauque et lente, le souffle d’une bête observant sa proie et attendant patiemment le moment pour fondre dessus. Je sentis mon cœur s’emballer au moment où mon regard se perdit dans l’obscurité du tunnel, cognant contre ma poitrine, irradiant jusque dans mon épaule gauche. Ma respiration devint sifflante, hachée, presque douloureuse. Et en m’entendant presque hyperventiler, Alexandre leva le nez de son téléphone :

« Lucas ? Tu vas bien ?

Qu’est-ce qu’il nous fait, encore… râla Arnaud, mais sa voix avait perdu de son assurance. »

Alexandre s’approcha de moi et m’attrapa le bras. Au contact de ses doigts sur la manche de mon sweat, je sursautai si violemment qu’un cri étranglé m’échappa. Mon corps tremblait dans sa totalité, et mes pupilles dilatées trahissaient l’incroyable sentiment d’horreur qui me submergeait. En voyant mon visage déformé par la peur, Alexandre, paniqué, m’attrapa par les épaules et me secoua.

« Oh ! Lucas ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

– Les… les… Oh, merde ! balbutiai-je fébrilement.

Quoi ? Les quoi ?!

Les… yeux ! Ils… ils me regardent ! Ils nous observent ! Là ! »

Je n’arrivais pas à détacher mon regard des ténèbres, l’hallucination m’empêchait littéralement de bouger. Mon bras raidi se leva malgré moi, et mon index désigna l’ouverture béante du couloir droit derrière nous. Alexandre suivit la direction de mon geste, crispé. Malgré l’angoisse qu’il éprouvait à l’idée d’apercevoir quelque chose, il se força à tourner la tête sur la gauche…

« Quels yeux, Lucas ? souffla-t-il en constatant, avec soulagement, qu’il n’y avait rien.

Il délire !

– On fait quoi ? Alexandre se remit à me secouer, espérant que cela me fasse sortir de cet état second. J’arrive pas à le réveiller !

– Pousse-toi ! »

Arnaud improvisa : il dévissa le bouchon de sa gourde et m’aspergea le visage d’eau. Le froid me fit l’effet d’un électrochoc et me ramena d’un seul coup à la réalité. Je haletai, trempé, mais au même instant, j’aurais presque souhaité replonger dans l’inconscience.

Le son réapparut. Le grondement sourd, profond, se mit à vibrer dans la roche. Le tunnel entier résonnait, tremblait, comme si la montagne elle-même gémissait. Mais cette fois, je n’étais pas seul à l’entendre : je vis Alexandre se couvrir les oreilles, le visage crispé, et Arnaud laissa échapper sa gourde dans un fracas métallique. Pendant une vingtaine de secondes, nous crûmes que la voûte allait céder et nous ensevelir vivants. Vingt longues secondes à supporter, impuissants, ce phénoménal tremblement. Puis, aussi soudainement qu’il était venu, le grondement s’éteignit. Je retrouvai peu à peu mon souffle. Mon cœur ralentit, même si mes jambes tremblaient encore.

« Bordel, c’était quoi ça ?! s’exclama Arnaud qui s’était pratiquement affalé contre la paroi du couloir, déstabilisé par le bruit.

Le Cri de la Planète !

Arrête, t’as trop joué à Final Fantasy VII !

C’est ça ! lâchai-je spontanément comme l’aurait fait Archimède dans sa baignoire avec son ‘‘Eurêka !’’. »

Mes amis me dévisagèrent, partagés entre étonnement et inquiétude.

« Ah bah tiens ?

– T’es de retour, toi ? me demanda Arnaud, surpris de voir que j’étais enfin sorti de mon hallucination.

C’est le bruit que j’ai entendu tout à l’heure ! insistai-je, le cœur battant. Je ne suis pas fou !

– Mais c’était quoi ?

– J’en sais rien ! Mais c’est à cause de ce bruit que je suis tombé dans les pommes tout à l’heure, et… attendez ! »

Je plaquai aussitôt mon index sur mes lèvres. Quelque chose m’inquiétait malgré le silence… En tendant l’oreille, je perçus un son qui se distinguait nettement des bruits habituels de ces souterrains. Un ronronnement grave, ponctué d’un léger grognement. Je me figeai aussitôt, glacé. Mes yeux affolés cherchèrent ceux de mes amis, qui, eux aussi, s’étaient immobilisés. Alexandre, le seul à faire face à l’ouverture du tunnel, tremblait de tout son corps. Et lorsque je vis ses bras secoués de frissons incontrôlables, ma pire crainte se confirma.

Nous n’étions pas seuls dans ce labyrinthe.


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